Marc, Franz (1880-1916)

Six peintures issues du Carnet de croquis du Front, 1915-1916, huile sur toiles, 54 x 81 cm

D’après le feuillet 12 (Arsenal pour une création).
D’après le feuillet 14.
D’après le feuillet 16.
D’après le feuillet 21 (Moment enchanteur).
D’après le feuillet 30 (Fragment).
D’après le feuillet 32.

Franz Marc appartient à cette jeunesse allemande de 1914 qui croyait au rêve, à l’utopie, à la possibilité d’un monde nouveau cédant sa place au divin. C’est l’image qu’exalteront Brecht et surtout Ernst Bloch dans son livre L’Esprit de l’utopie, écrit pendant la guerre de 1914. Nous reconnaissons là ce que fut la sensibilité de Franz Marc, cherchant à réconcilier Karl Marx, l’apocalypse et la mort. C’est aussi le « Crépuscule bleuissant » de Trakl, lequel se suicida en 1914, à 27 ans, évoquant la nuit transfigurée, semblable à un bouquet de violettes et de gentianes, la « figure hyacinthe du crépuscule », le « bleu gibier » qui garde en sa mémoire le souvenir de l’étranger. C’est enfin la Nuit transfigurée d’Arnold Schonberg qui s’engage comme eux tous avec enthousiasme dans l’armée.

Les trente-six croquis de ce carnet (de 9,8 x 16 cm) montrent de potentielles peintures que Franz Marc était alors dans l’incapacité de réaliser puisqu’il faisait la guerre.  On y découvre le passage progressif vers l’abstrait de l’art de Marc. Des préoccupations abstraites étaient déjà apparues depuis 1912, elles concernent d’abord la couleur : « Le bleu est l’expression du principe masculin, austère et spirituel. Le jaune est le principe féminin, doux, gai et sensuel. Le rouge exprime la matière, brutale et pesante qui doit être combattue et dominée par les deux autres ! » (Lettre à August Macke, décembre 1910).

Dans ces croquis, les animaux expriment la pureté à laquelle Marc aspire. Durant un moment, l’oiseau représente en plus la liberté ; mais l’artiste revient sans cesse aux chevreuils et aux chevaux. Progressivement les formes abstraites viennent se substituer aux représentations animales.

Dans une lettre du 4 mars à son épouse Maria, il écrivait : « …oui, je reviendrai aussi cette année dans mon cher foyer intact, vers toi et mon travail. Entre les abominables images de destruction sans limites, entre lesquelles je vis actuellement, cette idée de retour au pays a une gloire que l’on ne peut décrire assez suavement. » L’après-midi même, Franz Marc était tué.

Ces tableaux que nous avons restitués d’après les croquis, Franz Marc les avait dans sa tête. Il aurait pu les peindre. Les voici donc enfin nées au lieu de rester à l’état de projets avortés.

© Daniel Lagoutte