Caravage, Michelangelo, dit Le Caravage (1571-1610)

Portrait de la courtisane Phyllis, 1598, huile sur toile, 66 x 53 cm

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Restitution du tableau disparu.

      Ce tableau disparu montre l’unique portrait peint par le Caravage dont l’authenticité est incontestée. Il représente Phyllis qui est le surnom donné à Fillide Melandroni (1581-1618), une courtisane romaine, amie du peintre Caravage. Elle eut comme client et amant le spadassin Ranuccio Tomassoni, celui que tua Caravage en 1606. Outre ce portrait, elle lui servit de modèle pour plusieurs de ses tableaux, notamment la cruelle Judith décapitant Holopherne. Fillide est morte en 1608, à trente-sept ans, et l’Église lui refusa une sépulture chrétienne.

            Il appartenait au Kaiser Friedrich Museum de Berlin, et il a été détruit lors de la Seconde Guerre mondiale avec un grand nombre de chefs-d’œuvre réunis par les nazis, écrasé avec eux sous des masses de béton armé sensées les protéger contre les bombardements alliés.

            Le visage surgit pour avancer vers nous. Cette femme nous regarde avec une certaine arrogance. Et le travail de la matière peinte doit affirmer une telle force. Alors, l’action est arrêtée, « stupéfiée », déclenchant ainsi « dans le spectateur la pulsion du voir », un « effet réaliste-plastique de surprise et de sidération ». Le regard soutenu de Phyllis est celui de Méduse peinte à la même époque par le Caravage, un regard qui pétrifie dans un tableau disparu.

            L’œil de Phyllis est sur l’axe vertical de la toile, comme la main tenant un bouquet. Il est en outre situé sur cette verticale exactement selon la section dorée (1,618).

            La couleur est subtilement distribuée, fondée sur un ocre vert qui n’apparaît nulle part, mais qui ordonne pourtant les accords. Cette teinte met en évidence celles des carnations d’un brun rouge. Les lignes de la composition donnent du rythme à l’ensemble : l’avant-bras et la main se prolongent vers la chevelure noire. Des aplats colorés s’opposent à des matières travaillées dans le détail. Ils font appel au sens du toucher, à la tactilité plus qu’au visuel qui implique une distance d’observation.

            Pas de fond-paysage ici. Le personnage se détache sur le vide. Ce fond est un néant d’où émergent les formes. On ne sait d’où vient vraiment la lumière qui est pourtant forte en intensité. C’est techniquement à l’opposé de l’usage du clair-obscur parce que, loin de se fondre dans l’ombre, la forme lui est étrangère.

 

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Le Kaiser Friedrich Museum de Berlin en 1905.

 

(c) Daniel Lagoutte