Le dessin de De Kooning avant son effacement par Rauschenberg, 1953, 45 x 65 cm
Avec Erased de Kooning Drawing (1953), Robert Rauschenberg, un artiste américain néo-Dada, admirateur de Marcel Duchamp, adepte de l’art performant, avait envisagé de produire une œuvre qui serait le résultat, non d’ajouts de matériau sur un support, mais qui serait dû au retrait de ce qui rendait l’œuvre visible. Rauschenberg a d’abord essayé d’effacer ses propres dessins, Mais cela ne pouvait le satisfaire. Il lui fallait réaliser un acte négatif en s’affrontant à une œuvre de valeur incontestable. Comme Duchamp avec la Joconde, il s’agissait pour lui de provoquer le public avec humour, et pour cela de se confronter à l’œuvre d’un artiste reconnu. Il se tourna vers Willem de Kooning (1904-1997), chef de file de l’expressionnisme abstrait, un artiste pour qui il avait un énorme respect ; il lui a demandé de lui confier un dessin à seule fin de l’effacer. Un peu à contrecœur, De Kooning a accepté.
L’effacement fut laborieux. De Kooning avait cédé un dessin aux tracés très appuyés. Une fois le travail terminé, la feuille de papier, avec encore quelques traces restantes de graphisme, a été montée et encadrée avec une petite étiquette : « Erased de Kooning Drawing – Robert Rauschenberg – 1953 ».
Evidemment, ce fut un scandale. On rapporte que de Kooning n’aurait pas du tout apprécié que son Dessin effacé soit montré au public. « Cela aurait dû rester privé, une affaire personnelle entre artistes.»
On a tenté sans grand succès de découvrir en quoi consistait le dessin originel de De Kooning. Aucune photographie n’existe de cette page de croquis inachevés et de graffitis jugés sans valeur. En 2010, l’image à l’infrarouge a montré un dessin travaillé à partir de deux orientations opposées. On devine, têtes bêches, tracées au crayon, des figures féminines nues tracées rapidement et un enchevêtrement de lignes. Il s’agit là d’une page de croquis, des notations d’idées plus ou moins vagues que De Kooning avait l’intention de préciser.
En fait, peu importe ce qui existait avant, puisque seul compte l’acte de Rauschenberg. Il était cependant tentant de risquer une restitution. Nous avons donc essayé de redonner à voir ce qui avait été délibérément détruit pour constituer une nouvelle œuvre, celle de Rauschenberg qui est devenue célèbre parce qu’elle illustre l’état d’esprit subversif et les préceptes de l’Action painting qui ont dominé la scène artistique de New York au début des années 1950.
(c) Daniel Lagoutte