L’émeute, 1849, huile sur toile, 91 x 70 cm
Nous voici à moins d’un an après la Révolution de février 1848. L’émeute représente un meneur, bras tendu, entraînant la foule. C’est un jeune idéaliste échevelé, poitrine au vent, accompagné d’une femme qui se fond en lui et d’un ouvrier fanatisé. Ils forment une diagonale qui s’oppose à un riche bourgeois à chapeau haut-de-forme. Le message est clair.
Déjà nanti d’une solide réputation de caricaturiste critique de la monarchie, Daumier commence vraiment à peindre à ce moment-là, quand les journées de Février portent ses amis au pouvoir. Mais le public accueille sa peinture avec réserve et continue de voir en lui un amuseur : « la caricature gâte la main des artistes… Voilà un homme d’un immense talent, comme caricaturiste et qui a la main si faite qu’il faut lui interdire la peinture », écrit Chenevières en 1850. Daumier hésite à montrer son tableau qui ne sera exposé qu’en 1878.
Ce tableau disparu faisait partie des tableaux de la collection Gestenberg Scharf détruite à Berlin pendant la Seconde Guerre mondiale. Il n’en subsiste aujourd’hui qu’une photographie en noir et blanc.
La peinture est réalisée en pleine pâte pour les blancs, en transparence pour ce qui est dans l’obscurité. On notera les contrastes noirs/blancs, la tête d’un ouvrier à contre-jour se détachant sur le fond de chemise clair, la tête de la femme devant un ensemble de têtes tendues, la silhouette du bourgeois, à gauche, qui tente de résister à cette foule déferlante. Le traitement technique fait corps avec l’idéologie qu’elle vise à exprimer. Il s’agit de montrer combien Daumier craint l’affrontement avec le public ou même avec le simple amateur. Etat psychologique, manière de peindre et sujet figuré font toujours corps. La restitution d’une œuvre n’est pas copie contraignante ou imitation servile.
(c) Daniel Lagoutte