Chardin, Jean Siméon (1699-1779)

La Petite Fille aux cerises, vers 1736/37, huile sur bois, 18 x 18 cm;

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Le Jeune Soldat, vers 1736/37, huile sur bois, 20 x 18 cm

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P1040668 Les gravures du XVIIIe siècle.

       Chardin représente souvent des enfants. Ici, un garçonnet et une fillette sont absorbés dans leurs jeux, à la fois absents et présents, plongés dans leur monde. Ce sont peut-être des portraits, mais c’est l’occasion de livrer un message sur la précarité de la vie humaine. Chaque enfant est arrêté dans sa méditation. Le garçonnet vient de jouer, ou bien il va jouer, la fillette est occupée à observer des cerises, mais un panier à ouvrage et un ruban dénoué évoquent une occupation de couture délaissée ou à entreprendre. Durant l’intervalle de temps désigné par la toile, qui peut être très court, le personnage se trouve de fait immobile. Ce temps mort donne le sentiment d’une durée indéfinie, les personnages étant à la fois engagés dans l’action et détachés d’elle. C’est le temps de l’enfance, le temps de la peinture.

            Jusqu’à la guerre, la plupart des Chardin de Henri de Rothschild (1872-1947) étaient dans sa résidence de Paris, dans le château de la Muette. Aussitôt après le début de la guerre, la plupart de ses Chardin ont été envoyés en Angleterre pour les sauvegarder. L’actuel Lord Rothschild affirme que les Chardin furent « détruits en 1942 par une bombe allemande quand ils étaient stockés à Bath durant la guerre ». Pierre Rosenberg, spécialiste de Chardin, précise : « Les bombes n’ont pas détruit les peintures qui étaient dans la cave, mais elles furent endommagées par les tuyaux d’eau. L’eau s’engouffra dans la cave et détruisit les peintures. »

            Exposées au Salon de 1737, ces deux peintures sont connues par des gravures. Il suffit de retourner l’image et de retrouver la qualité optique et tactile de la matière colorée. Un long travail de maturation permet par couches successives transparentes de retrouver les bruns chauds sur lesquels se détachent les éléments. Ce sont des fonds unis, abstraits. La touche est rugueuse : « Il repeignait ses tableaux jusqu’à ce qu’il fut parvenu à cette rupture de tons que produit l’éloignement de l’objet et les renvois de tous ceux qui l’environnent et qu’enfin il eût obtenu cet accord magique qui l’a si supérieurement distingué… » « Il avait pour principe que les ombres étaient une et qu’en quelque manière le même ton devait servir à les rompre toutes ». Dans ces deux tableaux disparus, il nous fallait restituer ce qu’admirait tant Diderot : « On n’entend rien à cette magie… C’est une vapeur qu’on a soufflée sur la toile… Approchez-vous, tout se brouille, s’aplatit et disparaît ; éloignez-vous, tout se crée et se reproduit. »

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L’incendie de Bath lors du raid aérien dans la nuit du 28/29 mars 1942.

 (c) Daniel Lagoutte